Après deux ans de travaux, le théâtre du Châtelet à Paris fait peau neuve. Programmer un spectacle de musique électronique dans ce lieu habituellement dédié à la musique classique est ce qu’on peut appeler un virage artistique à 180 degrés. Pour l’hôtel Victoria, mitoyen du théâtre, c’est également une source de bruit nouvelle, troublant le sommeil de sa clientèle. Saisi en référé, le juge judiciaire a ordonné la suspension de ce spectacle.

 

Le contexte

Le célèbre théâtre parisien construit au XIXème siècle a pour habitude d’accueillir des spectacles de danse, de musique, d’opéra et de comédie musicale. Dans le cadre de la programmation 2019/2020, le théâtre du Châtelet à Paris décide d’innover et de proposer un spectacle de musique électronique sur neuf soirs, du 5 au 14 mars 2020, suivis d’une soirée spéciale le 27 mars au club Joséphine, la discothèque du théâtre. C’est ainsi que le musicien Rone pose ses claviers sur la scène du théâtre Châtelet. Son spectacle allie musique électronique et danse contemporaine.

Informée de cette programmation, la directrice du Victoria, l’hôtel mitoyen du théâtre, s’inquiète. Ce n’est en effet pas la première fois que de la musique électronique est diffusée au sein du théâtre. La directrice s’était plaint en novembre de nuisances sonores importantes générées par les concerts d’Arnaud Frisch ; ses clients ne pouvaient hélas plus trouver le sommeil. La directrice demande alors au théâtre de prendre les mesures nécessaires. Elle évoque également les dommages causés par les vibrations en provenance du club Joséphine, ressenties par les clients dans leur chambre d’hôtel.

Fort de cette première expérience, et n’obtenant pas satisfaction suite à ses demandes, le 4 mars 2020, la directrice du Victoria assigne l’association exploitante du théâtre en référé (procédure d’urgence devant la justice). Elle demande notamment la suspension des activités de diffusion de sons amplifiés au sein du théâtre du Chatelet et du club Joséphine, le spectacle électronique de Rone compris, jusqu’à ce que des travaux d’isolation du bâtiment soient réalisés. La directrice de l’hôtel demande également à ce que le théâtre lui fournisse l’étude de l’impact des nuisances sonores (EINS) réalisée. Enfin, elle demande au théâtre le versement de 5000 euros de dommages et intérêts.

Le 13 mars, le tribunal judiciaire de Paris rend sa décision et ordonne la suspension immédiate du spectacle. Il condamne le théâtre à verser 3000 euros à l'hôtel. Concernant l’activité du club Joséphine, le juge ne se prononce pas, l’activité du club étant arrêtée depuis.

 

Le juge est venu lui-même constater les nuisances !

Fait peu commun, quelques jours avant sa décision, le juge se déplace en personne afin de constater, par simple constat à l’oreille, les nuisances dans l’une des chambres de l’hôtel, et décrit des bruits et des vibrations particulièrement forts au cours de la représentation. Le bruit constaté est à un niveau tel qu’il est difficile d’y dormir.

Dans sa décision, il rappelle la nécessité de réaliser une EINS dans les cas prévus par l’article R571-27 du code de l’environnement. Toutefois, il précise que l’absence d’EINS ne suffit pas à prouver l’existence de nuisances sonores : dans tous les cas, un constat des nuisances doit être réalisé.

Dans l’affaire du Châtelet, le juge, ayant réalisé le constat lui-même, affirme que les bruits entendus constituent un trouble manifestement illicite, et que les nuisances ne peuvent cesser que par la suspension du spectacle.

 

Une attention particulière portée à la musique électronique

Dans sa décision, le juge précise que le trouble est causé par le seul spectacle de Rone, et non les futurs spectacles programmés par le théâtre, « qui feront appel à des instruments et des sons différents et dont les dommages causés sont par essence de nature hypothétiques ». Il ordonne donc la suspension de ce spectacle en particulier. Très utilisées dans les musiques actuelles, les basses fréquences créent de la résonnance et des vibrations, qui se propagent sur de longues distances et provoquent des problèmes de voisinages si le lieu n’est pas adapté ou si elles n'ont pas été maîtrisées en amont. Le reste de la programmation est maintenu. L’association Théâtre musical de Paris est en outre condamnée à payer les frais de justice dont le montant s‘élève à 3000 euros.

Tribunal judiciaire de Paris – Ordonnance de référé rendue le 13 mars 2020 – N°RG 20/52104