Entre 2022 et 2024, l’association Agi-son a mené une expérimentation sur la gestion sonore des festivals avec les organisateurs du festival Marsatac, à Marseille (13). Découvrez les résultats de ces expérimentations et leurs préconisations.
Contexte
Implanté dans le parc Borely, à Marseille (13), le festival Marsatac est un exemple emblématique de festival en cœur de ville, qui a su s’inscrire dans le paysage culturel de la ville avec 25 éditions à son actif. Les artistes qui s’y produisent sont principalement issus des scènes électro et hip hop, des esthétiques chargées en basses fréquences qui sont celles, comme on a pu le voir plus haut, qui provoquent le plus la gêne des riverains. Une alerte des riverains a conduit Marsatac à prendre à bras le corps le problème des émergences sonores.
Lorsque le festival s’est installé au Parc Borély en 2021, une EINS a été demandée par le service communal d’hygiène et de santé (SCHS) de la ville. En 2022, les riverains s’étant mobilisés et souhaitant des précisions sur le volet environnemental du décret “Son”, l’équipe de Marsatac contacte Agi-son pour être conseillée. Agi-son amorce un accompagnement de Marsatac.
En 2023, l’expérimentation se poursuit, avec l'objectif de faire converger la tranquillité des riverains, la qualité sonore pour les artistes et le public, et la protection de la santé auditive des spectateurs et des équipes.
En 2024, Agi-son a lancé l’acte 3 de son expérimentation. La collaboration entre le festival et son prestataire technique, Dushow, ainsi qu’avec le SCHS de la Ville de Marseille, a été renforcée. Agi-son faite également état d’une parfaite corrélation sur le terrain avec les objectifs posés dans l’EINS.
La protection du public
La définition des valeurs limites de diffusion : la nécessité de contractualiser
Un festival peut imposer des niveaux sonores moyens maximum en deçà des valeurs réglementaires. Il est dans ce cas nécessaire de contractualiser avec tous les protagonistes du son : des artistes au prestataire de service, chacun doit être conscient des niveaux moyens maximaux déterminés au sein du festival, des méthodes engagées et de sa responsabilité en cas de non-respect des niveaux.
Ne pas être en permanence aux limites autorisées permet au sonorisateur de s’offrir davantage de latitude dans la dynamique de son mix et de ne fatiguer ni l’audition des spectateurs, ni le matériel et, par voie de conséquence, de mieux respecter le voisinage. Informer tous les protagonistes des choix déterminés par la direction du festival est indispensable, afin qu’il n’y ait pas de quiproquos ou d’échanges conflictuels pendant l’exploitation.
Pour un événement réussi, qui convoque une belle qualité sonore respectueuse du propos artistique, des spectateurs et du voisinage, il faut que chacun prenne conscience de sa part de responsabilité dans la gestion du son qui, rappelons-le, ne se fait pas uniquement à la console de façade. En cela, le sujet doit être abordé très tôt dans les échanges avec les divers intervenants et intégré dans tous les contrats (techniques et artistiques).
Dans le cas du festival Marsatac, toute la chaîne des “faiseurs de son”, du prestataire de service technique, aux sonorisateurs bien sûr, en passant par les producteurs des artistes, a été informée des règles à respecter en matière de niveaux sonores, et les responsabilités de chacun ont été définies.
L’adaptation des niveaux sonores pendant l’exploitation
Des sondes ont été installées en limite de site par Solution 63 Hz pour vérifier, en temps réel, l’impact des fréquences basses dans le voisinage, et par conséquent, permettre au festival de pouvoir agir immédiatement en cas de fuites sonores exagérées. Si l'interaction entre les niveaux sonores sur le public et les valeurs d’émergence n’est pas toujours en cohérence, car les conditions météorologiques influencent énormément la propagation du son dans des valeurs difficiles à anticiper, savoir quelles sont les valeurs en limite du site est très utile. Il est néanmoins compliqué d’intervenir pendant le mix du sonorisateur parce que le vent s’est soudainement levé.
C’est très exactement ce qu’il s’est passé lors du festival Marsatac. La météorologie a été capricieuse le 1er soir du festival, avec un vent qui annulait les effets positifs de la ligne d'atténuation. Dans la nuit, la direction du festival a pris la décision d’avertir les productions des artistes, qui arrivaient le lendemain, que les niveaux sonores maximums autorisés seraient revus à la baisse. Toutes les productions, leurs, sonorisateurs et les personnels responsables de l’accueil technique ont donc été rapidement informés des nouvelles valeurs, définies à 96 dB(A) et 112 dB(C). Il est à noter que cette baisse de 6 dB correspond à une réduction de moitié de la pression acoustique (tandis que l’intensité, elle, est divisée par quatre), donc le son est perçu comme environ deux fois moins fort par le public. Il s’agit d’un abaissement considérable et d’une source de stress pour les sonorisateurs des artistes qui, rappelons-le, doivent s’adapter chaque soir à de nouvelles conditions de travail dans un contexte de tournée intense. Néanmoins, on a pu noter une attitude compréhensive et une bonne adaptation de ces professionnels qui, finalement, ont apprécié le challenge et ses effets dynamiques sur leurs sets. Au regard d’une météorologie plus clémente, qui a permis un bon fonctionnement de la ligne d'atténuation, les valeurs ont été remontées à 99 dB(A) et 115 dB(C) le samedi 17 juin à partir de 19h20.
Les 3 afficheurs/enregistreurs engagés sont différents par leur ergonomie, les caractéristiques techniques de leurs microphones, leurs possibilités de configuration, etc. Dans tous les cas, il est important de faire des calculs d’offsets en bande d’octave pour le réglage des afficheurs-enregistreurs.
Des actions de prévention à 360 degrés sur l’ensemble de l'événement
La formation des techniciens du son. En 2023, deux volontaires ont suivi une formation pour prendre connaissance des informations clefs sur la santé auditive et apprendre les bonnes pratiques pour déployer la sensibilisation. Les participants se sont vu délivrer une attestation de réussite à l’issue d’un QCM final. En 2024, 13 techniciens du son ont été formés à appréhender les objectifs, les enjeux et le cadre juridique actuel de la gestion sonore des festivals en plein air.
Le stand de prévention. Le stand dédié à la réduction des risques était situé dans l’axe principal du festival. Les festivaliers ont pu y disposer de conseils, des supports d’information (tracts, affiches) et de protections auditives sur toute la durée du festival.
La mise en place de bornes de protections auditives. Afin de faciliter l’accès aux bouchons en mousse diffusés gratuitement comme l’impose la réglementation, quatre bornes de distribution en libre-service de protections auditives jetables ont été installées près des scènes et sur les points de prévention.
L’inauguration d’une zone de repos auditif. Le festival a accueilli un espace dédié au repos auditif imaginé par Agi-son. Situé sous l’ombre d’un arbre, l’espace était doté de canapés et de transats. Au centre, un comptoir d’information tenu par des volontaires d’Avenir Santé permettait de proposer le prêt de casques anti-bruit pour offrir une bulle de silence. Le public pouvait aussi profiter d’une borne de recharge pour les téléphones en accès libre. Les canapés, le comptoir et la borne de recharge étaient fabriqués en palettes par une entreprise qui recycle le mobilier pour d’autres évènements. Ce mobilier est disponible à la location (ce qui peut être pratique si l’organisateur dispose de peu d’espace de stockage entre les éditions du festival) ou à la vente.
La diffusion des bons réflexes à adopter sur la scène principale, dans la boucle des spots sur les écrans de la grande scène.
L’usage des canaux de communication du festival. Réseaux sociaux et site internet ont été employés pour rappeler les principaux messages de prévention et informer les festivaliers des différents points de prévention sur le festival.
La vente de bouchons réutilisables. Des bouchons réutilisables étaient en vente à la boutique Marsatac pour les festivaliers qui souhaitaient s’équiper durablement et de façon plus qualitative.
L’affichage de la campagne de communication dans les espaces professionnels (backstages), dans l’espace de restauration.
Émergence sonore et protection des riverains
L’impact sonore sur le voisinage dès l’origine du projet
Les sonorisations de chaque scène ont été optimisées pour concentrer au maximum le son sur le public et minimiser l’émergence des fréquences basses qui gênent le plus le voisinage. Toutes les simulations ont été calées sur un niveau sonore de 118 dB(C) au point le plus exposé pour le public, avec un niveau maximum de 102 dB(A). Des valeurs plus contraignantes ont été imposées aux sonorisateurs le second jour du festival sur la scène Le Château : à 98 dB(A) et 112 dB(C) à la console. La configuration avec les « subs » (enceintes des fréquences graves) posés au sol devant la scène a été retenue, car les solutions avec les subs en hauteur disposés en grappes, ne sont pas assez directives pour protéger les riverains latéraux.
Il y a nécessité de prendre en compte les fréquences en dessous de 125 Hz pour agir concrètement sur la gêne des riverains et, donc, aller plus loin que le décret “Son”, dont les 3 dB d’émergences sont calculés sur le champ fréquentiel de 125 Hz à 4000 Hz. Il est important de noter que la conformité aux limites d’émergences du décret ne résout pas la gêne des riverains : sans gestion des basses fréquences, l’EINS n’a pas de sens.
En 2024, Agi-son fait part d’une reconnaissance du travail et des étapes franchies avec succès par les riverains et les représentants politiques présents ou qui suivent le sujet : 0 plainte de voisinage enregistrée pour une seconde année consécutive.
Des points de mesure sonores en limite de site
L’impact sonore sur le voisinage du festival doit s‘inscrire dès l’origine du projet dans une gestion sonore globale : le BEA devient un partenaire à convoquer très en amont de l’événement et à mettre en relation avec les équipes dédiées à la sonorisation. Quand c’est possible, il faut travailler l’orientation des scènes et invariablement les rendre directives.
Des points de mesures sonores ont été installés par le bureau d’étude A2MS Acoustique, en limite de site et vérifié, a posteriori, les performances des installations. Durant toute la durée du festival, deux points de mesure fixes ont été installés en limite de site côté avenue du Prado. Les points fixes ont été installés en début de soirée le jeudi 15 juin 2023 et ont été récupérés le mardi 20 juin 2023.
L’installation des sondes environnementales
Il est fondamental de pouvoir estimer en temps réel la perturbation du festival pour pouvoir l’optimiser : l’usage de sondes environnementales avec affichage en régie est à privilégier pour faciliter le travail des sonorisateurs.
Proposées par Solution 63 Hz, ces sondes ont pour but de caler puis de surveiller les systèmes de sonorisation du festival. Pendant l'exploitation du festival, ils sont essentiellement destinés à la gestion sonore, afin de pouvoir agir en temps réel sur la régulation de l’ensemble des systèmes de sonorisation du site. Ils n’ont pas vocation à se substituer aux afficheurs-enregistreurs ou aux mesures environnementales que ces derniers peuvent réaliser des agents de contrôle.
Toutes les sondes envoient leurs mesures de façon centralisée sur le poste de commande « pilotage ». Les sondes sont pilotables à distance et peuvent être paramétrées pour afficher :
une évolution temporelle des niveaux sonores par bandes de fréquence,
un spectre par bande d’octave avec une limite à ne pas dépasser,
un spectre en bande fine (48ème d’octave),
un spectrogramme.
Les sondes sont essentiellement présentes pour contrôler les émergences des basses fréquences dans l’environnement. Elles ne sont pas exigées réglementairement et leurs enregistrements n’ont pas été archivés, mais ce sont des outils extrêmement utiles pour gérer l’aspect environnemental de la gestion sonore en festival. Elles ont été des sources de dialogue intéressantes avec les techniciens en charge du son sur les différentes scènes. Par ailleurs, elles ont permis de se rendre compte rapidement de la contre-productivité de la ligne d’atténuation des basses de la scène Le Château lorsque le vent s’est mis à souffler. Des décisions rapides ont pu être prises : arrêt immédiat de la ligne d'atténuation et abaissement des niveaux maximum autorisés le lendemain.
Sondes environnementales sur site. En bleu, les sondes de surveillance des niveaux sonores pour le public. En rouge, les sondes de surveillance du bon fonctionnement des cardios et du système d’annulation. Crédit photo : Agi-son.
L’installation d’une ligne d’atténuation
La ligne d’atténuation proposée par Solution 63 Hz absorbe les fréquences basses générées par la ligne de sub principale de la scène Le Château. Elle diffuse un son en opposition de phase vers les riverains, ce qui permet de diminuer fortement la quantité de basses fréquences qui leur parvient. Elle diminue donc le son pour les riverains, sans impacter la qualité d’écoute pour le public.
Crédit photo : @Bubu. Ligne d'atténuation à l'arrière de la régie de la scène du Château.