<mathieu fontaine450Mathieu Fontaine est inspecteur à l’Agence régionale de santé des Hauts-de-France depuis 2006. Acousticien de formation — il est titulaire d’un master scientifique délivré par l’UPMC (spécialité Acoustique, Traitement du signal et Informatique Appliqués à la Musique), qu’il a suivi à l’IRCAM —, il est peut-être le seul inspecteur des ARS de France à s’occuper à plein temps du contrôle des lieux diffusant des sons amplifiés. Très attaché au sens de sa mission de service public, ce passionné de santé environnementale conjugue un très haut niveau d’exigence en matière de rigueur acoustique et une vision humaniste de sa fonction. Son témoignage est précieux à plus d’un titre : il justifie de 15 ans d’expérience du contrôle administratif des lieux diffusant des sons amplifiés ; il a participé, de 2006 à 2016, à la plupart des réflexions sur la révision du décret de 1998. Ce qui lui donne le recul suffisant pour s’adapter à la situation particulière actuelle, à savoir un décret entré en vigueur mais un arrêté d’application qui se fait attendre.

 

alain delannoy450Alain Delannoy a dirigé pendant vingt ans le bureau d’études acoustiques Acapella, implanté à Lille (59) et aujourd’hui propriété du groupe Venathec. Corédacteur du guide méthodologique pour l’application du décret de 1998 (ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement / GIAc, 2000), expert judiciaire depuis 2002, il a à son actif plus de 350 diagnostics, expertises, études d’impact et études d’ingénierie de lieux diffusant des sons amplifiés. En tant que représentant de l’ingénierie acoustique (GIAc), il s’est par ailleurs impliqué depuis 2000 dans toutes les tentatives d’évolution du décret de 1998. Difficile de trouver un acousticien capable de poser un regard aussi clairvoyant que lui sur la mise en œuvre de cette réglementation. Alain Delannoy est aujourd’hui consultant expert indépendant en acoustique.

 

Au gré de leurs pratiques respectives, Mathieu Fontaine et Alain Delannoy ont beaucoup échangé. Avec le temps, leur réflexion s’est concrétisée par une posture commune faite de pragmatisme, d’exigence et de confiance. Dans cet entretien, ils portent un regard croisé sur les réalités du terrain en matière de lieux diffusant des sons amplifiés. Bien qu’ils soient les premiers à dénoncer certaines des difficultés d’application du décret de 2017, ils témoignent ici d’une vision positive. Pour eux, pour peu qu’on s’en donne la peine, cette réglementation peut être appliquée. Là où certains crient à l’impossibilité d’application de cette réglementation, Mathieu Fontaine et Alain Delannoy disent ne pas y voir de point bloquant majeur.

Mathieu Fontaine, comment est organisé le contrôle des lieux musicaux au sein de l’ARS Hauts-de-France ?

Mathieu Fontaine (MF) : Dans les Hauts-de-France, étant donné la spécificité et la haute technicité de ces missions, une organisation régionalisée a été mise en place : c’est le service régional d’évaluation des risques sanitaires, basé à Lille, qui s’occupe des lieux diffusant des sons amplifiés. Avec un technicien à temps partiel et moi-même, notre effectif totalise l’équivalent de 1,3 temps plein. Au regard des ressources humaines disponibles, et du territoire couvert, pas d’autre choix que de limiter les déplacements : dans 95% des cas, le contrôle se fait sur dossier, depuis notre bureau. Ce qui signifie que tout repose sur l’EINS.

 

Si l’EINS est la clé de voûte du dispositif, selon vous, dans quel esprit cette étude devrait-elle être réalisée ?

MF : Durant les dix années qui ont précédé la parution du décret de 2017, Alain Delannoy et moi avons participé aux réflexions sur la révision du décret menées dans le cadre du Conseil national du bruit. Nous nous sommes posé beaucoup de questions et, notamment, celle de savoir quel était le but de l’EINS. Notre interprétation est que l’EINS a pour objectif de tendre vers un fonctionnement réglementaire, pour le public, pour le voisinage et pour l’exploitant. Je parle bien d’objectif, non pas de garantie. On ne va pas demander l’impossible à un acousticien. Par exemple, il est irréalisable techniquement d’évaluer l’impact d’un établissement dans toutes les pièces de tous les logements potentiellement exposés, dans un rayon de 300 mètres à la ronde ! En outre, le choix d’échantillonnage n’est pas non plus possible sans connaitre les caractéristiques acoustiques de chaque fenêtre de chaque logement. Il faut être réaliste, l’étude ne peut pas coûter 15 000 euros. D’ailleurs, le décret ne dit pas qu’il faut faire l’EINS dans les logements, mais que l’émergence doit être respectée dans les logements. Avec Alain Delannoy, nous partageons l’avis que pour le bâti non contigu, les mesures d’émergence spectrale à l’intérieur des logements ne soient effectuées uniquement que dans le cadre d’un contrôle, ou réservées aux seuls logements ayant fait l’objet d’une plainte. Pour l’EINS, nous nous rejoignons donc sur le fait que les mesures de bruit résiduel et de bruit ambiant soient réalisées en global, donc en dBA, en façade des habitations.

Avec cette interprétation, il en découle que l’étude acoustique, ainsi que les dispositions prises pour limiter les nuisances sonores, doivent s’appuyer sur un certain nombre de choix méthodologiques, qui sont consignés dans l’EINS. Si l’acousticien justifie ses choix, tant d’un point de vue acoustique que pratique, en fonction du contexte plus ou moins conflictuel notamment, mon service valide. Sauf cas extrême, tels que des travaux effectués sans mise à jour de l’étude, ou de tricherie sur le limiteur, si nous avons le sentiment que l’acousticien a fait de son mieux et que ses choix sont motivés, nous disons OK. D’ailleurs, dans la grande majorité des cas, après que nous ayons validé une EINS, nous n’avons ensuite plus de plaintes. C’est la posture que nous avions privilégiée avant le décret, et nous avons continué sur cette ligne avec le nouveau décret.


Alain Delannoy (AD) : Les établissements sont nombreux : il faut que les EINS puissent se faire massivement et, pour les études standards, à un prix compatible avec les capacités financières des établissements. Il faut également que ceux qui réalisent les EINS soient en sécurité juridique : à force d’exiger des acousticiens qu’ils s’engagent sur des choses qu’ils ne maîtrisent pas, plus aucun acousticien ne voudra réaliser d’EINS. En outre, pour reprendre l’exemple du bruit résiduel mesuré en global en façade, il faut savoir qu’il n’est pas forcément pénalisant pour les riverains, par comparaison avec un bruit résiduel en spectral mesuré à l’intérieur des logements. Cela dépend du type de musique qui est diffusé, de la charge énergétique dans les basses fréquences notamment.

 

Avez-vous finalisé un cahier des charges type que vous demandez de suivre pour les EINS ?

MF : Nous avons fait des tentatives, mais sans succès. Il y a de grandes catégories de lieux, certes, mais dans la pratique, chaque cas est unique. Concernant Acapella, le bureau d’études en acoustique créé par Alain Delannoy, dans l’ensemble, les choix méthodologiques faits ont tenu la route, même si l’émergence spectrale du Code de la santé publique a suscité pas mal d’interrogations. Nous sommes exigeants sur la qualité des informations qui doivent figurer dans l’EINS mais, côté méthodologie, nous préférons laisser l’opportunité à l’acousticien de décliner ses propres choix. Ce qui ne nous empêche pas de savoir qu’il y a des choses qui marchent bien et d’autres moins bien. À une certaine époque, au gré des rapports de contrôle que nous rédigions, nous avons réalisé que certains choix méthodologiques ne nous semblaient pas pertinents et donnaient lieu à des non-conformités. Nous avons échangé avec les bureaux d’études concernés, ce qui s’est traduit par une certaine uniformisation des pratiques au niveau des Hauts-de-France.

AD : À cause de l’hétérogénéité des situations, les agents de contrôle avaient du mal à s’y retrouver. Il y avait une demande pour un rapport structuré, avec un sommaire et des éléments de contenu, afin de ne pas se perdre dans les 30 pages du document. Avec Mathieu Fontaine, nous avons élaboré une sorte de canevas rédactionnel. Sur le plan de la méthodologie, tout au plus y sont précisés certains aspects liés à la méthode de mesure. Ce qui laisse toute sa place à notre expertise et à notre appréciation. Ce qui compte, c’est que la méthode utilisée soit compréhensible et justifiable.

 

N'y a-t-il pas eu quelques adaptations méthodologiques rendues nécessaires par la nouvelle réglementation ?

MF : Les choix méthodologiques de l’étude acoustique ont évolué, car les critères ont changé, mais la manière de contrôler est la même. Nous avons constaté plus de variété méthodologique dans les EINS réalisées depuis la parution du décret. Mais même si nous sommes confrontés à des niveaux de bruit résiduel mesurés tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur, cela reste concret, ce n’est quand même pas de la recherche fondamentale. Notre interprétation est qu’il faut faire des choix majorants dans l’étude. Par exemple, ne pas mesurer le bruit résiduel le mardi soir, à l’heure de pointe, quand le bruit du trafic masque tout. Quand on fait un travail d’inspection, c’est en notre âme et conscience. Il m’arrive de dire : "Votre méthode, ça ne tient pas la route". Ou bien : "Je n'ai pas compris".

Comment faites-vous pour gérer les difficultés d'application du décret ?

MF : Nous faisons appel à la fois à notre bon sens et à notre expérience. À chaque contrôle d’EINS, nous restons très attentifs à la pertinence des choix méthodologiques et des propositions émanant de l’acousticien, y compris concernant l’estimation du niveau de bruit résiduel.

AD : Du côté des services chargés du contrôle, une certaine capacité de lecture et d’analyse du rapport qui leur est remis est requise. Plus l’agent sera compétent, plus il se sentira légitime pour poser des questions, réclamer des éléments complémentaires. Du côté du prestataire de l’EINS, on attend de la réflexion, une vraie analyse de terrain, une justification, et pas seulement un exercice technique. Il y a tant de facteurs qui entrent en jeu que la méthodologie doit être adaptée au contexte, à la situation rencontrée, et doit être exprimée dans l’étude d’impact. En aucun cas, l’EINS n’est garante du fonctionnement réglementaire, mais elle doit apporter suffisamment d’éléments pour cadrer le fonctionnement de l’établissement.

À la différence de la mesure des performances acoustiques dans les logements, qui ne mobilisent pas vraiment de grande stratégie de réflexion, la réalisation d’une EINS n’est pas un exercice uniquement technique. Si l’acousticien n’a pas les bons réflexes et que son raisonnement est par trop mécanique, il passera à côté de paramètres souvent variables, liés à l’environnement, propres à l’établissement et à son fonctionnement, ou liés au voisinage et à sa sensibilité. Pour chaque EINS, on se creuse la tête, certes pas sur de la physique fondamentale, mais sur des choses qu’on retient ou non, des extrapolations qu’on souhaite faire ou non. Si l’acousticien ne réfléchit pas à deux fois, s’il n’a pas l’expérience et le recul suffisants, il risque de faire de mauvais choix méthodologiques, ou de ne pas faire de choix du tout. Ce qui conduira immanquablement à un déséquilibre entre le niveau sonore permis dans l’établissement et le niveau reçu chez les riverains. Inadaptée, l’étude désavantagera soit les riverains, qui seront mal protégés, soit l’exploitant, qu’il ne faut pas pénaliser plus que nécessaire.

Chacun dans son rôle doit donc faire preuve de compétence : pour celui qui réalise l’EINS, ne pas se contenter d’une méthode unique et simplificatrice ; pour celui qui analyse l’EINS, ne pas se cantonner dans une simple lecture d’un document administratif.

Mathieu Fontaine, vous avez la spécificité de vous occuper exclusivement de sons amplifiés. Comment font les autres agents de contrôle pour monter en compétence, quand le bruit ne représente qu’une part marginale de leur quotidien ?

MF : L’organisation entre services est très variable d’une région à l’autre. Quoi qu’il en soit, ce qui est sûr, c’est que l’acoustique, cela s’apprend. Les personnes qui ont travaillé avec moi, je les ai formées. Mais le contrôle en ARS, ce n’est pas que de l’acoustique et de la technique, cela demande d’autres compétences. Il faut être capable d’appréhender les aspects juridiques. Il faut aussi savoir gérer les aspects humains, pouvoir comprendre le métier de l’exploitant, intégrer la psychologie des personnes à l’origine de la réclamation. Pour maîtriser tous ces aspects, cela demande un certain niveau de formation. Par ailleurs, le poste d’agent chargé du contrôle exige d’être capable d’interagir avec de nombreux interlocuteurs : inspecteurs de salubrité des mairies, préfecture, sous-préfecture, parquets, procureurs, avocats, élus, riverains. Ne pas oublier qu’un dossier sur deux concerne une salle municipale ; il faut pouvoir discuter avec un élu. C’est un poste exigeant, mais enrichissant.

C’est surtout l’apprentissage par l’expérience, en étant confronté aux différents dossiers, qui permet de monter en compétence. Il faudrait aussi que nous prenions davantage le temps de discuter entre agents sur des dossiers difficiles, dans le cadre des réseaux d’échange qui sont mis à notre disposition.

Cette marge d’interprétation de la réglementation que vous vous autorisez, c’est beaucoup de responsabilité à porter sur les seules épaules de l’agent de contrôle ?

MF : L’agent chargé du contrôle n’est pas seul. Qu’il exerce en service d’hygiène ou en ARS, il a la possibilité de consulter le RESE*. Dans toutes les régions il y a des gens expérimentés sur le sujet, comme le réseau des référents bruit au sein des ARS.

* RESE : Réseau des agents des services déconcentrés du ministère de la santé (SCHS et ARS)

Mais une fois le contrôle effectué, il peut y avoir des suites administratives. Il faut prendre des décisions parfois lourdes de conséquences…

MF : Là encore, l’agent territorial n’est pas seul. Quand il y a proposition de suites administratives, il y a la signature d’un chef de service. Les services des préfets et sous-préfets peuvent aussi participer à la prise de décision sur les choix opérés. Dans les faits, quand l’agent chargé du contrôle établit un rapport, il le communique au responsable du lieu, afin qu’il puisse faire ses observations, dans un délai de 15 jours généralement. Passé ce délai, le contrôle est terminé. En cas de non-conformités persistantes, l’article L171-8 du Code de l’environnement contraint l’administration d’adresser une mise en demeure de lever les non-conformités dans un certain délai. Avec l’aval de sa hiérarchie, l’agent propose un délai adapté : 15 jours quand la non-conformité est légère, comme l’absence d’un document, et que le climat est très sensible ; 6 mois, si des travaux sont nécessaires et que le climat est apaisé. La suspension de l'activité musicale, prévue par l’article L171-8, est l'une des sanctions les plus pénalisantes pour l'exploitant et les plus utilisées en pratique par l'administration. Cette mesure est plus pertinente que la fermeture administrative. Prenons l’exemple d’une salle polyvalente municipale qui présente une non-conformité, par exemple l’absence de limiteur alors que l’EINS en prévoit un. En cas de fermeture administrative de la salle, celle-ci ne peut plus être utilisée pour aucune activité. Et passé le délai administratif, la non-conformité a toutes les chances d’être encore présente. Tandis qu’avec la suspension de l’activité bruyante, on suspend uniquement le fait de diffuser de la musique amplifiée. Autre exemple : imaginons qu’au terme d’un contrôle sur dossier, le gérant d’un bar ait fait l’objet d’un arrêté de suspension pour défaut de pose d’un limiteur. Il a intérêt à se dépêcher car il est obligé de payer les charges salariales, les factures. Il installe un limiteur, produit la facture et l’attestation de réglage. De notre côté, nous établissons un arrêté de levée de l’arrêté de suspension. Cela peut aller relativement vite.

 

Quel type de relation l’ARS entretient-elle avec les prestataires d’EINS en région Hauts-de-France ?

MF : Nous nous sommes mis d’accord au fil des dossiers sur des choix méthodologiques avant intervention. C’est la clé pour établir un cercle vertueux entre l’administration et les bureaux d’étude, et pour pénaliser le moins possible les établissements et les plaignants. C’est grâce à ces échanges, à ce dialogue, que l’ARS et le prestataire se font confiance.

AD : Ne pas perdre de vue que la plupart des exploitants qui sollicitent un bureau d’études ou un bureau de contrôle pour faire réaliser leur EINS, le font soit suite à un contrôle réglementaire de l’administration, soit parce qu’ils sont déjà en conflit avec leur voisinage. Bien souvent, ils ont investi dans la rénovation de leur établissement, mais sans bien prendre en compte l’acoustique, ils ont les plaignants aux trousses, mais ils n’ont plus de moyens pour refaire des travaux d’amélioration acoustique, qui sont souvent lourds. Par manque d’effectif, les autorités chargées du contrôle ne se déplacent pas et s’en tiennent à l’analyse de l’EINS. Mais celle-ci n’existe généralement pas. Résultat : le bureau d’études missionné par l’exploitant pour réaliser son EINS se retrouve à devoir gérer une situation compliquée. De fait, dans un tel climat conflictuel, l’étude est tout sauf facile à réaliser. L’agent chargé du contrôle et le prestataire de l’EINS ont alors tout intérêt à se concerter sur la bonne méthodologie, à réfléchir ensemble aux interprétations qui doivent être faites.

MF : En ARS Hauts-de-France, pour les sons amplifiés, on n’intervient en effet que sur réclamation d’un riverain. Comme on ne traite pas tous les cas, quand un acousticien nous dit avoir reçu une mission de réalisation d’EINS, nous lui proposons que nos services appellent les personnes à l’origine de la réclamation afin qu’elles le contactent. Le plus souvent, les réclamants comprennent qu’ils ont intérêt à collaborer avec l’acousticien, que cela va favoriser la mise en conformité du lieu. Rares sont ceux qui décident de garder leur porte fermée. Sauf lorsque le climat est vraiment très conflictuel.

 

Quelle est votre interprétation de la réglementation relative aux sons amplifiés en ce qui concerne les bruits d’équipement, ceux de renouvellement d’air notamment : à prendre en compte en tant que bruits de voisinage, mais sans les inclure dans les sons amplifiés ?

MF : Dans le cadre de l’EINS, on considère que le périmètre de travail porte uniquement sur la musique amplifiée. Nous considérons donc comme choix méthodologique acceptable de la part de l’acousticien de ne pas prendre en compte les bruits d’équipement. En cas de contrôle en revanche, si l’on veut conserver le principe du contrôle inopiné, il faudra mesurer simultanément les sons amplifiés et le bruit de l’extracteur d’air. Bien évidemment, si dans son étude, l’acousticien dit avoir déterminé le niveau maximum par rapport aux sons amplifiés uniquement, mais qu’il mentionne aussi la présence de bruits d’équipement très importants, dans ce cas, je ne validerai pas l’EINS. Parce que depuis des années, nous avons cette interprétation que l’objectif de l’EINS est d’assurer le respect de la réglementation relative aux émergences.

AD : Il faut juste préciser que ce n’est pas le même critère d’émergence qui s’applique : en lieux clos, pour les sons amplifiés, c’est 3 dBA d’émergence globale et 3 dB d’émergence spectrale par bande d’octave ; pour les bruits d’équipement, c’est une émergence globale de 5 dBA le jour et de 3 dBA la nuit, avec facteur correctif fonction de la durée d’apparition du bruit perturbateur, et des émergences spectrales de 7 dB dans les bandes d’octave centrées sur 125 et 250 Hz, et de 5 dB dans les bandes d’octave centrées sur 500, 1000, 2000 et 4000 Hz. Chaque cas est différent mais il faut intégrer ces éléments dans l’EINS et prendre vraiment garde à distinguer les critères réglementaires applicables à chaque source. Une attention particulière doit alors être portée sur la bonne évaluation des bruits résiduels, qui devront être pertinents, tant pour la diffusion de musique que pour le bruit des équipements techniques.

MF : J’en reviens aux choix méthodologiques, qui doivent être structurants. Pour un acousticien, passer sous silence le fait d’avoir mesuré le bruit résiduel alors que l’extracteur d’air de la discothèque était en fonctionnement, c’est un raisonnement à courte vue. Tout prestataire devrait avoir pour objectif la satisfaction de son client. Ce qui suppose de lui apporter le meilleur conseil possible. Depuis que nous sommes passés en ARS en 2010, nous établissons des rapports de contrôle sur pièce. Quand nous détectons de tels choix méthodologiques erronés, nous déclarons la non-conformité et transmettons à l’exploitant un rapport qui fait toute la lumière sur la faiblesse de l’étude. Le prestataire de l’EINS se retrouve alors dans une position peu confortable, celle de devoir répondre point par point aux non-conformités soulevées. S’il ne fait rien, il y aura non-conformité persistante. Cela se produit deux ou trois fois, puis cela n’arrive plus. C’est possible de mettre en place un cercle vertueux. Reste le cas, heureusement minoritaire, des opportunistes qui s’improvisent acousticiens, qui peuvent être de très bons installateurs de sonorisation, ou des électriciens compétents, mais qui n’imaginent pas les compétences et l’expérience requises pour réaliser une EINS. Si l’on n’est pas acousticien de formation, on part de loin, c’est compliqué.

 

Si l’exercice de l’EINS est si sophistiqué, comment s’assurer que les agents de contrôle soient à même d’en appréhender toutes les subtilités ?

MF : Contrôler l’EINS est effectivement un exercice subtil et pour ce faire il me semble pertinent que les agents soient formés tout particulièrement à cette analyse. Mes collègues y sont parvenus. Peut-être n’étaient-ils pas experts en correction du bruit de fond. Mais une fois que l’EINS était validée par nos services, les riverains ne se plaignaient plus de la musique.

AD : Comment s’assurer que les agents chargés du contrôle ne se fassent pas mystifier par des études volontairement alambiquées pour masquer leurs carences ? Tout d’abord, premier garde-fou : la formation, la compétence, le sérieux et la réputation de celui qui réalise l’EINS. La compétence, on en revient toujours à cette notion. Deuxième garde-fou : la réflexion. Se contenter d’une grille de lecture, sans analyse critique, c’est prendre le risque de survoler l’étude et de n’en saisir ni la logique, ni les éventuels écrans de fumée.

Quel est votre état d’esprit face à l’enjeu complexe de la diffusion en plein air et des festivals ?

MF : En attendant l’émergence de méthodologies éprouvées, nous avons l’intention de rester constructifs avec ceux qui montrent de la bonne volonté, qui se donnent les moyens de maîtriser l’impact sonore de leur manifestation. 

AD : Si certains sonorisateurs proposent des choses qui marchent, directivité, spatialisation, etc., et que ces approches sont mises en œuvre dans les règles de l’art, peu importe les moyens. Le juge de paix restera toujours la mesure d’émergence chez les riverains. Peut-être se focalise-t-on trop sur ces pratiques réservées aux grands festivals et concerts en plein air, où il y a plus de moyens, mais qui ne sont pas représentatifs de la majorité des situations de diffusion en plein air. Je veux parler des kermesses, des foires commerciales, des fêtes de village. Pour le plein air, pour pallier le manque actuel de méthodologie, il faut expliciter ce qu’on attend des organisateurs : leur dire qu’ils doivent décrire des moyens, des équipements, des puissances, des niveaux. Il faut aussi prévoir du contrôle si la manifestation est récurrente. L’exploitant qui prend les choses en amont et qui s’intéresse aux configurations cardioïdes, à la recherche de directivité dans les basses fréquences, c’est de la faisabilité qui a vocation à alimenter l’EINS ensuite. Cela n’est pas différent du cas de l’exploitant qui rachète un bar de jour pour le transformer en bar de nuit. S’il est prudent, il fera évaluer en amont la faisabilité de la réussite du projet, et cela avant l’EINS.

Le cas des salles polyvalentes est particulièrement complexe. Avez-vous des propositions concrètes à faire aux maires?

MF : Le décret de 2017 a considérablement intensifié les critères acoustiques réglementaires. On est passés d’une émergence globale avec un bonus fonction de la durée de la fête à une émergence de 3 dBA quelle que soit la durée. Si l’on ajoute à cela l’évolution des esthétiques musicales, qui sont de plus en plus riches en basses fréquences, la conclusion est qu’on ne peut plus utiliser un local polyvalent pour des manifestations festives nocturnes. Cela requiert un local spécialisé. C’est le message que nous essayons de communiquer lors du contrôle, car les maires et leurs conseillers n’ont pas forcément conscience que leur salle soit devenue incompatible avec la location commerciale pour les mariages. L’EINS revient souvent à prononcer la plus ou moins bonne adaptation du local à l’usage qui en est fait. La prise de conscience de ces situations d’impasse peut se faire plus ou moins tard au cours du suivi des dossiers. Parfois, les élus décident d’arrêter. Il arrive que nous ayons à prononcer un arrêté de suspension. Certains maires portent les choses devant le tribunal administratif. Mon conseil aux maires : si vous voulez des manifestations festives avec diffusion de sons amplifiés, construisez un local adapté, et intégrez la thématique du bruit bien en amont du projet.

 

AD : Il arrive hélas que l’EINS d’une salle polyvalente nouvellement conçue démontre qu’on ne peut pas y diffuser de musique amplifiée à fort niveau. C’est bien au tout début que les maîtres d’ouvrage doivent aborder cette problématique. Trop souvent, les acteurs du projet (maître d’ouvrage, équipes de maîtrise d’œuvre, architecte) vont se focaliser sur la fonctionnalité, la lumière naturelle, la qualité et l’esthétisme des revêtements, les aspects économiques, mais ils oublieront souvent d’intégrer l’acoustique dans ces considérations. Le risque est donc que la salle ne puisse finalement pas accueillir certaines des activités pour laquelle elle était destinée, telles que les soirées ou les banquets… Or, très souvent, la pertinence économique de ces projets repose sur les revenus apportés par ce type de location.

 

Dans une salle existante, quelle est l’ampleur des travaux à réaliser ?

AD : Tout dépend de l’état initial. Faire du neuf avec du vieux, cela dépend des moyens qu’on se donne. En dehors des ouvertures, c’est principalement la toiture qui doit être renforcée. La majorité des salles polyvalentes existantes ne sont pas adaptées : les toitures sont légères, les charpentes ne peuvent reprendre les charges nécessaires. Si bien qu’en général, les travaux s’arrêtent au remplacement des fenêtres. Il faut alors se contenter d’un niveau d’exploitation faible, ou arrêter la diffusion de musique amplifiée. Bien souvent, il s’agit d’une implantation en plein cœur de ville : la fête du village, une fois par an, est bien acceptée, mais une location tous les samedis… Sans parler des nuisances aux abords de la salle, du manque de parkings. La polyvalence est antinomique de la quête de rentabilité qui est recherchée avec la location commerciale de ces locaux, prévus initialement pour une utilisation collective. À la soirée du club de foot local, il y a des responsables locaux, des élus, les gens se connaissent. Quand c’est un mariage, plus personne ne connaît personne. Tout cela à cause d’une confusion d’usage. Tout n’est pas faisable partout. D’où l’importance que les maîtres d’ouvrage soient bien conseillés.